Thursday, November 28, 2013

comme si je suis destiné de voir ces mots aujourd'hui #4

Mr. Paulo are you reading my mind?

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- Je te comprends. 
- Je suis content. 
- Je suis triste, cela me fait penser que tu vas partir. Je le savais depuis notre première rencontre, pourtant c'est difficile parce que je me suis habituée.
- C'est là le problème : l'habitude. 
- Mais c'est humain.
- C'est pour cette raison que la femme que j'ai épousée est devenue le Zahir. Jusqu'au jour de l'accident, je m'étais convaincu que je ne pourrais être heureux qu'avec elle, et pas parce que je l'aimais plus que tout au monde, mais parce que je pensais qu'elle seule me comprenait, connaissait mes goûts  mes manies, ma façon de voir la vie. Je lui étais reconnaissant de ce qu'elle avait fait pour moi, je pensais qu'elle devait m'être reconnaissante de ce que j'avais fait pour elle. J'étais habitué à regarder le monde avec ses yeux. Te rappelles-tu l'histoire des deux hommes qui sortent de l'incendie, l'un avec le visage couvert de cendres ? »

Elle a retiré sa tête de mon épaule ; j'ai noté qu'elle avait les yeux pleins de larmes. 

« Eh bien le monde, c'était cela pour moi, ai-je poursuivi. Un reflet de la beauté d'Esther. Est-ce l'amour ? Ou est-ce une dépendance ?
- Je ne sais pas. Je pense qu'amour et dépendance vont ensemble. 
- Peut-être. Mais supposons qu'au lieu d'écrire Un temps pour déchirer et un temps pour coudre, qui n'est en réalité qu'une lettre à une femme qui est loin, j'avais choisi un autre scénario, par exemple :
« Le mari et la femme sont ensemble depuis dix ans. Ils faisaient l'amour tous les jours, maintenant il ne font l'amour qu'une fois par semaine, mais finalement ce n'est pas si grave : il y a la complicité, le soutien mutuel, la camaraderie. Lui est triste quand il doit dîner tout seul parce qu'elle a dû rester plus tard au travail. Elle, elle se plaint quand il part en voyage, mais comprend que cela fait partie de son métier. Ils sentent que quelque chose commence à manquer, mais ils sont adultes, ils ont atteint la maturité, ils savent à quel point il est important de maintenir une relation stable, ne serait-ce qu'au nom des enfants. Ils se consacrent de plus en plus à leur travail et à leurs enfants, pensent de moins en moins à leur mariage - apparemment il va très bien, il n'y a pas d'autre homme ou d'autre femme.
« Ils constatent qu'il y a un problème. Ils n'arrivent pas à le cerner. À mesure que le temps passe, ils sont de plus en plus dépendants l'un de l'autre, finalement l'âge arrive, les occasions de changer de vie s'éloignent. Ils cherchent à s'occuper de plus en plus - lecture, broderie, télévision, amis - mais il y a toujours la conversation au dîner, ou la conversations après le dîner. Lui s'irrite facilement, elle devient plus silencieuse que d'habitude. Chacun sait que l'autre est de plus en plus distant et ne comprend pas pourquoi. Ils parviennent à la conclusion que le mariage est ainsi mais se refusent à en parler avec leurs amis, ils donnent l'image d'un couple heureux, de deux personnes qui se soutiennent mutuellement, qui ont les mêmes intérêts  Apparaissent un amant par-ci, une maîtresse par-là, rien de grave, bien sûr. Ce qui est important, nécessaire, définitif, c'est d'agir comme si de rien n'était, il est trop tard pour changer. 
- Je connais cette histoire, bien que je ne l'aie jamais vécue. Et je pense que nous nous entraînons toute notre vie à endurer des situations comme celle-là. »

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J'enlève mon pardessus et je grimpe sur le rebord de la fontaine. Maire demande ce que je vais faire. 
« Marcher jusqu'à la colonne.
- C'est de la folie. C'est déjà printemps, la couche de glace doit être très fine.
- Je dois marcher jusque-là. »
Je mets le pied, toute la couche de glace se déplace, mais ne se brise pas. Pendant que je regardais le lever du soleil, j'ai fait une sorte de pari avec Dieu : j'au parié que si je parvenais à atteindre la colonne sans que la glace se brise, m'indiquait la route à suivre. 
« Tu vas tomber dans l'eau.
- Et alors ? Au pire je risque de prendre un bain glacé, mais l'hôtel n'est pas loin et la souffrance ne durera pas longtemps. »
Je mets l'autre pied : maintenant je suis entièrement dans la fontaine, la glace se décolle sur les bords, un peu d'eau monte à la surface, mais elle ne se brise pas. Je marche dans la direction de la colonne, ce ne sont que quatre mètres si l'on considère l'aller et retour, et le seul danger, c'est que je tombe dans l'eau. Mais pas questions de penser à ce qui peut arriver : j'ai fait le premier pas, je dois aller jusqu'au bout.

Je marche, j'atteins la colonne, je la touche de la main, entends tout craquer, mais je suis encore à la surface. Ma première réaction est de courir, mais quelque chose me dit que si je fais cela, mes pas deviendront plus fermes, plus lourds, et je tomerai à l'eau. Je dois revenir lentement, au même rythme. 

Le soleil se lève devant moi et m'aveugle un peu, je vois seulement la silhouette de Marie et les contours des édifices et des arbres. La couche de glace bouge de plus en plus, l'eau continue de jaillir sur les bords, inondant la surface, mais je sais - j'ai la certitude absolue - que je vais réussir, parce que je suis en communion avec le jour, avec mes choix, je connais les limites de l'eau glacée, je sais comment la prendre, lui demander de m'aider, de ne pas me laisser tomber. Je commence à entrer dans une sorte de transe, d'euphorie ; je redeviens un enfant qui fait des choses interdites et des bêtises, mais y prend un immense plaisir. Quelle joie! Des pactes fous avec Dieu, du genre « si je réussis ceci, il va se passer cela », des signes provoqués non par ce qui vient de extérieur  mais par instinct, par la capacité d'oublier les vieilles règles et de créer des situations nouvelles. 

Je suis reconnaissant d'avoir rencontré Mikhail, l’épileptique qui pense entendre des voix. Je suis allé à sa rencontre en cherchant ma femme, et j'ai fini par découvrir que j'étais devenu un pâle reflet de moi-même. Esther compte-t-elle toujours autant ? Je le pense, c'est son amour qui a changé ma vie un jour et me transforme encore aujourd'hui. Mon histoire était vielle, de plus en plus lourde à porter, trop sérieuse pour que je me permettre des risques comme celui de marcher dans une fontaine, faisant un pari avec Dieu, traquant un signe. J'avais oublié qu'il fallait toujours refaire le chemin de Saint-Jacques, jeter les bagages inutiles, ne garder que le nécessaire pour vivre chaque jour. Laisser l’énergie de l'amour circuler librement, du dehors au dedans, du dedans au dehors. 
Un nouveau craquement, une fissure apparaît - mais je sais que je vais réussir  parce que je suis léger, très léger  je pourrais même marcher sur un nuage et je ne tomberais pas sur la terre. Je ne porte pas le poids de la renommée, des histoires racontées, des scénarios à venir ; je suis transparent, je laisse les rayons de soleil traverser mon corps et illuminer mon âme  Je comprends qu'il y a encore en moi beaucoup de zone d'ombre, mais elles s’éclaireront peu à peu, avec de la persévérance et du courage.

Encore un pas, et le souvenir d'une enveloppe sur ma table. Bientôt je 'ouvrirai, et au lieu de marcher sur la glace, je prendrai la route qui me conduira à Esther. Ce n'est plus parce que je la désire à mes cotes, elle est libre de rester là où elle se trouve. Ce n'est plus parce que je rêve jour et nuit du Zahir ; l'obsession amoureuse, destructrice  semble avoir disparu. Ce n'est plus parce que je me suis habitué à mon passé et désire ardemment y retourner. 

Autre pas, autre craquement, mais le rebord salvateur de la fontaine approche. 
J'ouvrirai l'enveloppe et j'irai à sa rencontre, car, comme le dit Mikhail l'épileptique, le voyant, le gourou du restaurant arménien, cette histoire doit se terminer. Alors, quand tout aura été raconté et re-raconté à maintes reprises, quand les lieux où je suis passé, les moments que j'ai vécus,  les pas que j'ai faits à cause d'elle se transformeront en lointains souvenirs, il restera seulement, simplement, l'amour pur. Je ne sentirai pas que je « dois » quelque chose, je ne penserai pas que j'ai besoin d'elle parce qu'elle seule est capable de me comprendre, parce que je suis habitué à elle, parce qu'elle connait mes défauts, mes qualités, les toasts que j'aimes manger avant de me coucher, les informations internationales à la télévision quand je me réveille,  les promenades obligatoires tous les matins, les livres sur la pratique du tir à l'arc, les heures passées devant l’écran de l'ordinateur, la colère que je ressens quand la bonne appelle plusieurs fois pour dire que le repas est sur la table. 

Tout cela disparaîtra  Il restera l'amour qui déplace le ciel, les étoiles, les hommes, les fleurs, les insectes,  qui nous pousse à marcher dangereusement sur la glace, nous emplit de joie et de crainte mais donne un sens à tout.
Je touche la murette de pierre, une main se tend, je la saisis, Marie m'aide à reprendre mon équilibre et à descendre.
« Je suis fière de toi. Jamais je n'aurais fait cela.
- Je crois qu'il y a quelque temps, moi non plus je ne l'aurais pas fait ; cela semble infantile, irresponsable, sans aucune raison concrète. Mais je suis en train de renaître,  je dois prendre des risques nouveaux. 

- La lumière du matin te fait du bien : tu parles comme un sage.
- Les sages ne font pas ce que je viens de faire. »

Extrait de Paulo Coelho «Zahir»

1 comment:

jawad said...

Très bon article