Tuesday, November 12, 2013

Esther demande pourquoi les gens sont tristes

« Esther demande pourquoi les gens sont tristes.

« ‘’C’est simple, répond le vieillard. Ils sont prisonniers de leur histories personnelle. Tout le monde est convaincu que le but de cette vie est de suivre un plan. Personne ne se demande si ce plan est le sien ou s’il a été inventé par quelqu’un d’autre. Tous accumulent des expériences, des souvenirs, des objets, des idées qui ne sont pas les leurs, et c’est plus qu’ils ne peuvent porter. Et c’est ainsi qu’ils oublient leur rêves. ‘’

« Esther fait observer que beaucoup de gens lui disent : ‘’Vous avez de la chance, vous savez ce que vous voulez dans la vie ; moi, je ne sais pas ce que je désire faire.’’

« Bien sûr qu’ils savent, répond le nomade. Combien en connaissez-vous qui passent leur vie à déclarer : ‘Je n’ai rien fait de ce que je désirais, mais c’est cela la réalité. S’ils disent qu’ils n’ont pas fait ce qu’ils désiraient c’est bien qu’ils savaient ce qu’ils voulaient. Quant à la réalité, c’est seulement l’histoire que les autres nous ont racontée sur le monde et la façon dont nous devions nous y comporter.

-- Et combien disent pire : ‘Je suis content parce que je sacrifie ma vie pour ceux que j’aime.’

-- Croyez-vous que les gens qui nous aiment désirent nous voir souffrir pour eux ? Croyez-vous que l’amour soit source de souffrance ?

-- Pour être sincère, je le crois.

-- Eh bien, il ne devrait pas l’être.

-- Si j’oublie l’histoire que l’on m’a racontée, j’oublierai aussi des choses très importantes que la vie m’a enseignées. Pourquoi ai-je fait des efforts pour apprendre tout cela ?Pourquoi ai-je fait des efforts pour acquérir de l’expérience et savoir m’y prendre avec mon activité professionnelle, mon mari et mes crises ?

-- Les connaissances accumulées sont utiles pour faire la cuisine, ne pas dépenser plus que l’on ne gagner, être à l’abri en hiver, respecter certaines limites, savoir où vont certaines lignes d’autocar et de chemin de fer. Mais croyez-vous que vos amours passées vous ont appris à mieux aimer ?

-- Elles m’ont appris à savoir ce que je désirais.

-- Ce n’était pas ma question. Vous amours passées vous ont-elles aidée à mieux aimer votre mari ?

-- Au contraire. Pour pouvoir me donner complètement à lui, j’ai dû oublier les cicatrices laissées par d’autres hommes. Est-ce de cela que vous parlez ?

-- Pour que la véritable énergie d’amour puisse traverser votre âme, elle doit vous trouver comme si vous veniez de naître. Pourquoi les gens sont-ils malheureux ? Parce qu’ils veulent emprisonner cette énergie, ce qui est impossible. Oublier l’histoire personnelle, c’est garder ce canal pur, laisser chaque jour cette énergie se manifester comme elle le désire, se laisser guider par elle.

-- Très romantique, mais très difficile, parce que cette énergie est toujours prisonnière de beaucoup de choses : les engagements, les enfants, les obligations sociales …

-- … et au bout de quelque temps, le désespoir, la peur, la solitude, la volonté de contrôler l’incontrôlable. Selon la tradition des steppes, appelée Tengri, pour vivre dans la plénitude, il fallait être constamment en mouvement, ainsi chaque jour était différent de l’autre. Quand ils traversaient les villes, les nomades pensaient : ‘Pauvres de ceux qui vivent ici, pour eux tout est pareil !’ Peut-être que les habitants de la ville regardaient les nomades et pensaient : ‘Les pauvres, ils n’ont aucun endroit où vivre !’ Les nomades n’avaient pas de passé, seulement un présent, c’est pourquoi ils étaient toujours heureux – jusqu’au moment où les dirigeants communistes les ont obligés à cesser de voyager, et les ont retenus dans des fermes collectives. Dès lors, ils se sont mis peu à peu à croire l’histoire dont la société disait qu’elle était la vraie. De nos jours, ils ont perdu leur force.

-- Personne, de nos jours, ne peut passer sa vie à voyager.

-- Si l’on ne peut pas voyager physiquement, on peut le faire sur le plan spirituel. Aller de plus en plus loin, prendre ses distances avec son histoire personnelle, avec ce que l’on nous a forcés à être.

-- Que faire pour abandonner cette histoire que l’on nous a racontée ?

-- La répéter à haute voix, dans ses moindres détails. À mesure que nous racontons, nous nous séparons de ce que nous avons été et – vous le verrez, si vous décidez d’essayer – nous faisons de la place pour un monde nouveau et inconnu. Répéter cette histoire ancienne très souvent, jusqu’à ce qu’elle n’ait plus d’importance pour nous.

-- C’est tout ?

-- Il reste un détail : à mesure que les espaces sont inoccupés, pour éviter que cela ne nous cause un sentiment de vide, il faut les remplir rapidement, même si c’est provisoire.

-- Comment ?

-- Avec des histoires différentes, des expériences que nous n’osons pas faire, ou que nous ne voulons pas faire. C’est ainsi que nous changeons. C’est ainsi que l’amour grandit. Et quand l’amour grandit, nous grandissons avec lui.

-- Cela signifie également que nous pouvons perdre des choses qui sont importantes.


-- Jamais. Les choses importantes demeurent toujours – ce qui disparaît  ce sont celles que nous jugions importantes, mais qui sont inutiles, comme le faux pouvoir de contrôler l’énergie de l’amour. ‘’

Extraits de Paul Coelho « Le Zahir »

1 comment:

jean said...

very nice post. thanks